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ENTRETIEN AVEC LIZ MCCOMB, CHANTEUSE ET PIANISTE-ORGANISTE.
Liz McComb : "Je viens d'une famille inondée de musique"
LE MONDE | 02.07.07 | 17h39  •  Mis à jour le 02.07.07 | 17h39

Liz McComb, née à Cleveland (Ohio), s'est installée à Paris au début des années 1980. Trente ans après ses débuts en solo, à l'âge de 3 ans, la chanteuse et pianiste-organiste, qu'on appelle la "diva du gospel song", est sur scène une nature, une force rayonnante. Les photos de Yann Arthus-Bertrand qui illustrent ses albums (Acoustic Woman ou Liz McComb Live) traduisent cette énergie qui emporte les publics. Elle était à Jazz à Vienne (Drôme), le 1er juillet. Elle sera à Monségur (Gironde), le 8.

Comment expliquez-vous la ferveur que vous ont portée des intellectuels comme Cornelius Castoriadis ou Jean-Paul Aron ?

Cornelius Castoriadis jouait bien du piano. J'ai fait souvent le boeuf chez lui, et on m'a priée de jouer pour ses obsèques. Je me rappelle avoir chanté Motherless Child ; tout le monde pleurait. Le gospel song a un pouvoir d'émotion immédiat. Je viens d'une famille inondée de musique. Nous habitions le ghetto de Cleveland, mon père était pasteur et nous jouions dans toutes les églises du quartier. Enfant, je m'asseyais à côté de ma mère au piano : "Un jour, j'en ferai autant." Mes soeurs formaient un groupe, The Daughters of Zion. Je voulais m'y joindre mais elles m'envoyaient balader, malgré ma grosse voix, parce que j'étais trop petite. Curieusement, j'étais timide, ce qui ne m'empêchait pas de m'entraîner devant un manche à balai en guise de micro.

Dans "Mirage de la vie", film de Douglas Sirk avec Lana Turner, on voit, lors d'un enterrement terrible, votre modèle, la grande chanteuse de gospel Mahalia Jackson.

Oh ! C'est mon film favori. Je peux le voir tous les soirs. La question des Blancs et des Noirs aux Etats-Unis est posée avec une force rare, et qui plus est, dans un drame d'amour. Mahalia Jackson chante à l'église Soon I Will Be Done, que je reprends dans mon premier album. Le gospel est une culture, pas seulement une musique religieuse, ce à quoi on la réduit d'un point de vue intégriste et puritain. Aux Etats-Unis, surtout. Je chante dans un esprit religieux, bien sûr, mais en Amérique, on me trouve trop jazz. Ils pensent qu'ils ont toujours raison et qu'ils sont les meilleurs, mais c'est faux. Je viens d'entendre Barack Obama, le candidat démocrate à la Maison Blanche. Il parlait dans une réunion de religieux et leur disait : je suis libéral, démocrate, mais je ne mets pas la religion en avant. C'est ma position.

Il vous arrive de reprendre des chansons comme "In the Mood for Love" de la légende du blues, John Lee Hooker. Pour vous, le blues n'est-il pas la musique du diable, et le gospel, celle de l'Eglise ?

Pas du tout. Elles se croisent. En famille, on écoutait du blues, du jazz. Mon oncle jouait du piano dans le style honkytonk, mon neveu Frank McComb a commencé à se faire connaître aux côtés de Branford Marsalis. Dans le Deep South (ma famille vient d'Alabama), les musiciens jouaient au temple le jour et au club la nuit.

J'établis deux sortes de ponts : entre les musiciens de jazz et le gospel, entre les générations de gospel. Sans compter que, lors de ma première tournée en Europe, je faisais partie d'un programme qui s'appelait "The Roots of Rock'n'Roll". J'y ai beaucoup appris aux côtés de Bessie Griffin, Taj Mahal, Randy Weston ou Helen Humes. Et cela m'a permis d'être invitée à faire les premières parties de James Brown ou Ray Charles. Ecoutez les musiciens dont le nom me vient en tête, Aretha Franklin, Cannonball Adderley, Albert Ayler ou Clifford Jordan : blues, gospel, jazz sont intriqués. Louis Armstrong est le père fondateur ; John Coltrane, l'esprit.

Est-on toujours conscient de la diversité de vos engagements ?

Du côté des artistes et du public, sans aucun doute. Mon succès sur scène dans l'American Evening du chorégraphe Bill T. Jones à l'Opéra de Lyon, les 6 000 personnes à l'Acropole, le récital à Los Angeles pour les cinquante ans de l'ONU le prouvent. Je suis une artiste de scène, je suis croyante, bien sûr, mais capable de chansons moqueuses sur la bigoterie (You're Never...). Tout s'est déplacé. Autrefois, on jouait tous à l'Apollo d'Harlem.

Aujourd'hui, la ségrégation, la séparation sont plus que jamais partout. Nous sommes des gens brisés, scindés. Je chante contre ça.


Festival de Vienne. Liz McComb (le 1er juillet), Diego Amador, Juan Carmona, jazz et flamenco (le 2) ; George Benson/Al Jarreau (le 3) ; Pat Metheny/Brad Mehldau (le 4) ; Dee Dee Bridgewater (le 5) ; Kurt Elling, Cassandra Wilson, David Murray (le 6). Jusqu'au 13 juillet. Tél. : 0-892-702-007.


Propos recueillis par Francis Marmande
Article paru dans l'édition du 03.07.07


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